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vendredi 26 avril 2013

UN MENTAL DE FOOTBALLEUR ALLEMAND, c'est ça : Episode II (là ça devient "hot"...)


Assis sur le muret bordant l’entrée souterraine du métro Vieux-Port, Fabien Caramel donnait dans la contemplation. En cette mi-journée, sous cet agréable soleil d’automne, il observait la surface de l’eau. Contempler l’onde, même mazoutée, avait un effet apaisant sur lui. Dans cette situation, il arrivait enfin à s’oublier.
Autour de lui, le quai des Belges était plutôt calme. Le marché aux poissons venait de se terminer, les forains aux stands remplis de gadgets essayaient de capter l’attention des passants, et quelques touristes attendaient d’embarquer pour le Château d’If ou le Frioul. Un homme, ayant posé quelques livres d’occasion sur le muret, près de Fabien, lançait à intervalles réguliers un homérique « Aaaallez, la lecture c’est l’aventure ! »...
Fabien vit passer la femme délavée qu’il avait déjà remarquée deux ou trois fois parmi la foule de ce grand village qu’était l’hypercentre, « l’indienne », immanquable avec sa robe en daim à franges et son bandeau brun. Elle tenait un sac en papier kraft assorti à son ensemble.
A trente mètres au dessus de sa tête, deux gabians se coursaient en hurlant… Inspiré par le décor qui s’offrait à lui, son esprit se mit à vagabonder…
Jusqu’à la deuxième guerre mondiale, l’horizon d’ici était barré par une grande carcasse de métal, le pont transbordeur. Constitué de deux pylônes plantés de part et d’autre de l’entrée du port et reliés par un léger tablier, un plateau y était suspendu, qui permettait de se déplacer d’une rive à l’autre, comme sur un tapis volant au dessus des flots. Il avait été dynamité en 1944 par les allemands lors des combats pour la libération de Marseille, pour bloquer le port. Comme obstacle, on ne pouvait en effet rêver mieux…
Fabien s’était déjà demandé quelle impression on ressentait à l’époque en le voyant pour la première fois. Sûrement qu’il donnait un supplément d’âme à ce lieu, comme une porte ouvrant sur le monde, qui signifiait aux navigateurs qui appareillaient : « Maintenant que vous allez me franchir, tout peut vous arriver, le meilleur comme le pire ! » Cela devait vraiment être quelque chose, tous ces bateaux, certains encore à voile, sûrement, arrivant ou repartant vers des contrées lointaines. A terre, les dockers débarquaient ou embarquaient dans leur ventre une multitude de tonneaux. Ils étaient entreposés sur une chaussée formée de pavés. Il y avait peut-être aussi des chevaux pour les transporter, qui parfois, le corps couvert d’écume, se retrouvaient dans l’incapacité d’avancer à cause de charges trop lourdes. Sous les coups d’hommes au cœur dur comme les pavés, ils devaient alors se mettre à ruer en poussant des hennissements de douleur que personne n’entendait. Et pour cause… Tout autour d’eux, grouillant comme des fourmis, des hommes de couleurs et de langues différentes gagnaient leur salaire à la sueur de leur front. Le soir venu, ils iraient en dépenser une partie entre les cuisses des filles travaillant dans les ruelles proches…
« Ho ! jeune… Vous attendez quelqu’un ?… »
Sortant de sa rêvasserie, Fabien vit, bras croisés et visage amusé, son seul et vrai ami, Lucas.
« Ha, t’es là ? fit-il mollement.
Je me demandais si tu allais finir par t’en rendre compte, lui répondit le grand brun à frisettes.
Je réfléchissais…
Comme d’habitude… Ça fait une minute que je suis planté à côté de toi…
Tu vas pas t’y mettre toi aussi… » lui répondit Fabien avec un iota d’irritation.
Il se leva, et ils se firent la bise… Pour l’un comme pour l’autre, se revoir de temps à autre était indispensable pour se ressourcer. A qui peut-on en effet raconter sans être jugé ses problèmes et les conneries qu’on a faites, si ce n’est à son meilleur ami ?
Et comme Fabien, Lucas Fernandez en avait souvent gros sur la patate, et s’épanchait à l’occasion. Actuellement, cela n’allait d’ailleurs pas fort du tout pour lui, ni au point de vue professionnel, puisqu’il galérait quelque peu, ni au point de vue sentimental. Chloé, sa copine, n’était manifestement plus sous son charme.
C’était une fille d’avocat, future avocate elle-même, qui rendait malade Lucas par sa cyclothymie : « Je t’aime / Je t’aime plus… Je t’aime / Je t’aime plus… » En l’occurrence, elle était actuellement dans une phase « Je t’aime plus… » Du moins jusqu’à la prochaine fois… peut-être. Mais la douche écossaise étant ce qu’il y a de pire pour les nerfs, Lucas confiait de plus en plus aux chichons le soin de soulager les siens. D’ailleurs, lui et Fabien n’avaient pas parcouru cent mètres en remontant une Canebière parsemée comme à l’habitude de papiers gras et de déchets divers qu’ils durent entrer dans un tabac curieusement nommé Au diplomate pour que Lucas puisse se réapprovisionner, tandis que, plus haut, un véhicule électrique de la police municipale se frayait un passage dans le trafic de toute la puissance de sa sirène. Le gérant du magasin portait un splendide pull en poils de chameau. Sous son comptoir, à l’abri des regards, son amie Kalachnikov veillait sur lui…
« Deux paquets de Fortuna, et une barrette de libanais, s’il vous plait, lui demanda Lucas.
Il me reste seulement du marocain, lui répondit l’homme en posant les deux paquets sur le comptoir, sous l’œil d’une caméra de surveillance Panasonic.
Non, j’aime pas le transgénique… Bon, ça fait rien, je prends que les cigarettes. »
Dehors, il dit à Fabien : « Au prochain tabac, faut que j’en achète… Quand j’ai pas de shit à portée de main, j’ai toujours peur d’en manquer juste à ce moment.
Tu deviendrais pas un peu accroc sur les bords, par hasard ?
Mais non, c’est juste psychologique, c’est tout…
Justement…
Merci de t’inquiéter, Papa, mais ça va bien !
Je m’inquiétais juste pour tes petits neurones, c’est tout… C’est mon côté bon samaritain… »
Fabien eut justement l’occasion d’exercer ses quelques dons d’écoute tandis que Lucas lui parlait de ses dernières tribulations d’avec Chloé. Mais la dernière fois que Lulu l’avait vue datait déjà de quinze jours, ce qui n’était pas spécialement bon signe…
En chemin, toujours sur la Canebière, ils croisèrent descendant d’un trolley ce petit noir barbu abritant ses dreadlocks dans un bonnet démesuré aux couleur de la Jamaïque, que Fabien avait déjà aperçu en ville.
« Décidément, aujourd’hui, je tombe sur toutes les têtes connues… » dit-il à son pote.
Comme en écho à ses paroles, une vision tout droit sortie de la Cour des miracles leur fit détourner le regard, comme les fois précédentes d’ailleurs… Un jeune rom, habitué des lieux depuis plusieurs mois, avançait au milieu des passants en poussant son écuelle au cri de « Pardon monsieur dame… » Il se déplaçait à quatre pattes, sur ses avant-bras, et pour cause : les articulations de ses genoux étaient inversées, ce qui le faisait ressembler à une chimère arachnéo-humaine… Fabien sentit son estomac se nouer devant cet Everest de la misère humaine…
Peu après, aux antipodes de cette scène, dans l’ambiance légère du Scudetto, le restaurant italien qu’ils avaient choisi, tandis que l’un s’affairait avec sa quatre-saisons et l’autre avec sa pizza au dauphin, Lucas s’enquit enfin de l’état de la relation entre son ami et Amandine.
« Ça va à peu près, répondit-il… Parfois on s’engueule… » (Ce que Lucas se devait de comprendre par « Parfois elle m’engueule ! »). « Mais dans l’ensemble, ça va, conclut-il sobrement. Et pour le boulot, t’en es où ? demanda-t-il en se versant du rosé du pichet.
Justement, j’ai un entretien demain, pour un poste de commercial à Aix… répondit Lucas en montrant à la serveuse le petit brau d’eau déjà vide… Alors aujourd’hui, c’est relâche… » Ce qui ne changeait guère ses habitudes, pensa Fabien.
Après être sortis du restau, ils se rendirent dans une salle de jeux vidéo. Après avoir tué quelques dizaines de zombies en amuse-gueule, ils se mesurèrent en combat aérien sur simulateur de vol gyroscopique… Lucas en sortit vainqueur haut la main, avec trois victoires en trois combats. Fabien regretta d’avoir choisi la configuration F39 Pitbull. Sur certaines manœuvres, notamment les tonneaux, on pouvait tout de même encaisser près de 2 g, et il jeta l’éponge dès qu’il sentit les prémices d’un mal au cœur. Il n’aurait pas été de bon goût de se vomir dessus une bouillie de pizza macérant dans du rosé… Il posa le pied à terre, mais il était trop tard, la réaction était déjà enclenchée… Il n’eut alors que le temps de se presser aux toilettes pour tout rendre... Puis, après les avoir quelque peu marquées de son empreinte, il fut temps de quitter prestement ce lieu…
Un peu de randonnée urbaine fut alors la bienvenue pour reprendre des couleurs. En chemin, un tag mystérieux sur un platane les amusa… Un œil unique avec pour légende : ZGÜLL VOUS OBSERVE. Dans une rue déserte, ils virent un troupeau de rats faire la teuf sur un amas de poubelles, certains aussi gros que des chats castrés… Ils changèrent de trottoir…
Plus loin, un clochard accroupi feuilletant un exemplaire froissé du Figaro avait posé à côté d’une petite assiette en plastique une pancarte précisant « svp pour une villa a saint tropez »… Lucas contribua à son projet à hauteur de 80 centimes.
Ils terminèrent l’après-midi dans un bar encore désert en cette pré happy hour. Assis au comptoir, Lucas testa une bière italienne pour accompagner son chichon, alors que Fabien s’en tenait judicieusement à un Coca. Ils discutèrent de l’OM. Ils discutèrent quelque peu avec la barmaid, vague connaissance de Lucas. A l’un des commentaires de Fabien, la jeune fille fit : « Pourquoi ? Vous avez quel âge ? ». En réponse, il lui demanda combien elle lui donnait. « Vingt-trois ? » hésita-t-elle. De la main, il lui fit signe de monter son chiffre. Elle dut en donner trois autres pour arriver à vingt-huit. « Vingt-huit et demi… » précisa même magnanimement un Fabien Caramel flatté d’être ainsi pris pour un jeunot.
Peu après cette microvictoire, les deux potes prirent congé l’un de l’autre.
« Merde pour ton entretien, lui souhaita Fabien. Cette fois, faut que ça marche !
Je mange un rat si ça marche pas ! » lui répondit Lucas avec une conviction certaine, juste avant qu’ils ne se bisent.

De retour à la maison, le premier geste de Fabien fut d’allumer l’écran plasmique. Il tomba sur un clip de Palyss, la rappeuse, qu’il zappa au bout de quatre secondes pour passer sur une chaîne d’info, tombant en pleine page de pub… Il en profita pour aller directement aux toilettes. Il s’amusa alors à faire le plus de bruit possible en urinant, pour tenter de recouvrir les voix provenant du séjour, qui proposaient toutes des objets synonymes de bonheur. Tout en se soulageant, il s’en mit quelques gouttes sur les doigts, qu’il essuya sur son jean. Sans s’être lavé les mains, il alla directement à la cuisine se chercher à boire.
Le temps de revenir, un nouveau point sur l’actualité débutait, avec bien sûr en ouverture les événements de Disney World. Affalé sur le clic-clac, un verre de jus de kiwi à la main, il trouva les images très télégéniques, avec un immense brasier s’élevant du château de la Belle au bois dormant, et surtout ces sauterelles si étonnantes qui semblaient bondir hors de l’écran… comme si la 3 D n’avait été inventée que pour elles… Sacrées bestioles… se dit-il.
Pour faire bonne mesure, il compatit sur le sort des victimes. A l’écran, les secouristes s’occupaient des blessés. Certains hurlaient. La vue de la tête de Minnie séparée de son corps caoutchouteux, tous deux maculés du sang de l’homme qui lui avait prêté vie, était particulièrement fascinante. L’image revint aux insectes, et comme ce matin, le commentaire conjecturait sur leur origine transgénique.
« Saletés d’OGM ! » dit Fabien en secouant la tête de manière réprobatrice.
Puis, se rappelant les cafards gambadant de temps à autre dans la cuisine, il pensa : J’espère qu’ils vont pas goûter aux céréales d’Amandine…
Les infos suivantes étant nettement moins croustillantes, il fit apparaître plusieurs fenêtres sur l’écran, à la recherche d’un canal capable de prolonger sa léthargie télévisuelle.
Malgré ce déferlement d’images, le programme le plus intéressant arriva pourtant de la vraie fenêtre, celle qui donnait sur l’immeuble d’en face. Fabien tourna machinalement la tête lorsqu’il perçut du coin de l’œil l’apparition de la voisine dans l’encadrement. Elle avait ouvert la fenêtre, et s’appuyait négligemment sur le rebord, plongeant son regard vers la rue. En fait, tout plongeait, y compris et surtout sa poitrine sévère, particulièrement mise en valeur par un décolleté king size. Elle avait la quarantaine, cheveux clairs coupés très courts, et hormis ces considérations physiques, Fabien ne savait rien d’elle.
Il se leva et s’approcha de sa fenêtre, invisible derrière son rideau. Autant qu’il ait pu en juger, elle avait des horaires très irréguliers, voire était souvent absente pendant quelques jours. Qu’est-ce qu’elle peut bien foutre ? se demandait-il parfois. Quoi qu’il en soit, quand il était seul et qu’il l’apercevait, il ne pouvait s’empêcher de la mater. Il était d’autant plus intrigué que jamais il n’avait vu la moindre personne lui rendre visite. Elle vivait seule au sens littéral du mot. Pas de famille invitée, pas d’amie passant prendre un verre, et encore moins un homme pour la serrer dans ses bras. Et ce, depuis près de trois ans qu’elle habitait là. Avant de rencontrer Amandine, elle avait été son grand fantasme, et quelque part elle le restait. Fabien s’était souvent imaginé pétrir à pleines mains les seins hypnotiques de cette femme mystérieuse. C’était d’ailleurs ce à quoi il se laissait à nouveau aller… Poursuivant plus encore son rêve éveillé, il imagina la voisine pénétrant dans cette pièce, et relevant délicatement le haut pour découvrir cette poitrine irréelle, ces seins auxquels il aurait tant aimé s’abreuver… Elle dégrafa lentement son soutif (vu d’ici, du 95 C au bas mot). Déployant ainsi des obus felliniens qui narguaient toujours la gravité même sans soutien, il la vit s’agenouiller devant lui, défaire un à un les boutons de son jean, et le faire glisser le long des ses jambes maigres… Elle resta ainsi immobile de longues secondes… Puis soudain, en un geste vif elle lui baissa des deux mains son caleçon ! Yeux mi-clos, elle avança alors lentement son visage vers ce sexe qui bombait le torse… et enfin, enfin, tandis que Fabien se sentait aussi excité qu’une jeune femme à laquelle on aurait offert un bon d’achat de 10.000 € chez IKEA, slurp ! elle l’engloutit dans sa bouche merveilleuse et commença à…
« Bonsoir mon p’tit mari… lui dit Amandine d’une voix sans ressort.
Amandine ??
Qui veux-tu que ce soit ?
Je t’ai pas…entendue entrer… bredouilla-t-il.
Tu ne m’as pas l’air du tout dans ton état normal, Fabien… »
Pendant qu’elle le regardait avec insistance, il prit conscience de plusieurs choses :
a) La voisine se prélassait toujours à sa fenêtre.
b) Par sa seule présence, elle avait remonté sa pendule à midi.
c) Encore plus fort : pendant qu’il était parti dans son trip, il s’était caressé et avait machinalement déboutonné deux ou trois boutons de sa braguette au passage…
d) Lui qui culpabilisait au quart de tour, il était en train de faire la tête du petit garçon surpris par maman dans sa chambre en train de feuilleter Penthouse.
Des perles de sueurs s’apprêtaient déjà à apparaître... Face au danger, son cerveau reptilien lui commanda de dire la première chose lui passant par la tête pour faire diversion de ce délit pour lequel il s’était auto-inculpé.
« Toi aussi, tu m’as l’air bien fatiguée, ma pauvre Amandine… Tu veux que je te dise ? Tu es en train de te faire bouffer par ton boulot… Et ça, c’est bon ni pour toi, ni pour moi… »
Il passa devant elle en courant d’air et sortit de la pièce, comme s’il avait à faire, et se reboutonna dans la cuisine en un tournemain. Ceci fait, il revint pour lancer à une Amandine circonspecte : « Y’a pas que le boulot dans la vie, merde ! Si on t’en file trop, refuse-le ! Tu te fais manipuler comme une bleue… »
Question diversion, ce fut particulièrement bien trouvé, car cette réplique eut le don, à défaut du mérite, de mettre hors d’elle une Amandine Bereta déjà passablement énervée par sa journée de travail à Entressen [entre seins], la pire depuis bien longtemps, avec un sérieux accident pour un ouvrier, entraînant un accrochage avec le contremaître, et pour finir un appel de son chef voulant savoir pourquoi ça n’avançait pas plus vite, et lui remettant une couche de pression pour faire accélérer les choses.
« Non mais, je rêve !! explosa Amandine en comprenant en cet instant toute la plénitude de l’expression « les bras m’en tombent ! ». Aujourd’hui j’ai eu une journée de merde comme jamais, et Monsieur, bien au chaud toute la journée, se permet de me donner des conseils sur ce que je devrais faire ?!
Je suis…
Tais-toi !… Tu ne me demandes plus où je suis allé, ce que j’ai fait… Il n’y en a plus que pour toi, toi, et toi !! Et en plus, maintenant tu me donnes des conseils ?! »
Les larmes lui montèrent aux yeux pendant que Fabien baissait les sien…
« Excuse-moi », murmura-t-il.
Il s’avança pour l’embrasser, mais Amandine détourna la tête.
« J’ai vraiment pas envie. Je suis épuisée, moi.
Ecoute, c’était pour ton bien que j’ai…
Pour mon bien ? Arrête, Fabien, tu aggraves ton cas… »
Il voulut essayer de se justifier, expliquer que ce n’était pas ce qu’il avait voulu dire, et que de toute façon, elle savait bien qu’il était un gaffeur né…
Finalement, aucun mot ne sortit, et il préféra se diriger tête basse vers la fenêtre pour fermer ces fichus volets, mais surtout ne plus croiser son regard.
Elle le coupa dans son élan en lui disant : « Au fait… Tu ne fermes même plus ta braguette, maintenant ? »
Décontenancé par sa remarque, il trouva tout de même à lui répondre : «  Ho, ça ? Je suis sorti des chiottes juste avant que tu arrives, et j’ai mal fermé le magasin. Tu sais comment je peux être distrait, des fois… » fit-il en osant un léger sourire.
Celui-ci resta lettre morte. Au contraire, ce fut à cet instant qu’il reçut le coup de grâce :
« Distrait, distrait… Je n’ai pas envie de passer toute ma vie avec quelqu’un qui est toujours dans la lune… » dit-elle avec des yeux rougis.
Fabien sentit un frisson glacé le parcourir. Il resta pétrifié quelques instants, puis réussi à prendre sur lui pour avancer vers elle. Il voulu la serrer dans ses bras, mais elle le repoussa fortement en criant « Laisse-moi tranquille ! », avant d’aller s’enfermer dans la salle de bains.
Fabien, qui avait maintenant bien débandé, chuchota, en esquissant un « Non » de la tête : « Quel con je fais. J’en rate pas une… » Puis il pensa : Ce soir, c’est pas gagné…
Après avoir ainsi illustré à ses dépens le fait que les victimes nées se sentent toujours obligées de donner le bâton pour se faire battre, il resta deux ou trois minutes à regarder la porte close de la salle de bains, et ce n’est que lorsqu’il entendit le bruit de la douche qu’il émergea de sa léthargie. Il alla enfin fermer ces putains de volets, puis se dirigea vers la cuisine pour y faire un rangement quelconque, et n’en bougea pas. Au sortir de sa douche, Amandine se réfugia dans la chambre. Ils purent ainsi s’éviter, et surtout éviter que la moindre étincelle ne remette le feu aux poudres.
Ha ! Si ! Il se croisèrent quelques secondes lorsque Amandine vint chercher son yaourt aux algues quotidien, avant de ressortir aussitôt sans mot dire.
Ce qu’il n’avait pas pu lui dire par des mots ou des gestes, Fabien décida alors de l’exprimer par la cuisine, en préparant avec le plus d’amour possible sa spécialité : les pâtes au roquefort. Dédicacées à Rita !
Lorsque cela fut fait, il alla la chercher dans la chambre pour lui annoncer que le repas était prêt. Allongée en travers du lit, elle feuilletait un magazine et répondit qu’elle n’avait pas faim sans même lever la tête vers lui. Il insista, et elle finit par venir, à contrecœur.
Le dîner se déroula comme prévu dans une ambiance pesante, et les paroles échangées le furent avec parcimonie et sans chaleur.
Fabien, le nez dans son assiette, n’osait pas parler, craignant que le moindre mot fut mal interprété. Mieux valait laisser les choses se tasser d’elles-mêmes. Quand le match est difficile, d’abord chercher à préserver le 0-0… se coacha-t-il. Comme Amandine se contentait de manger en regardant d’un œil distrait les images défilant sur l’écran, ce fut leur repas le plus silencieux depuis longtemps.
Tout comme il avait préparé le repas et mis la table, il se leva pour la débarrasser avec le zèle de celui qui veut se faire pardonner… Passant derrière Amandine, il l’embrassa furtivement sur la tête au passage.
Immédiatement, elle se leva elle aussi, le rattrapa, et lui enserra le visage de ses mains. Elle l’attira alors vers elle et, levée sur la pointe de ses petits pieds, le harponna de sa langue.
Surpris par tant d’intensité, Fabien faillit en lâcher l’un des verres.
« C’est si bon quand on se réconcilie, remarqua Rita avec son sourire d’ange.
C’est sûr », répondit béatement Fabien, qui ne perdait pas le nord pour autant, puisqu’il se débarrassa aussitôt de tout ce qui lui encombrait les mains. Il put ainsi enlacer Rita tout à son aise. Il noya son visage dans sa longue chevelure brune, douce comme de la soie, et huma intensément sa fraîcheur. Puis il la fit basculer délicatement sur le canapé. Elle enleva alors son pantalon, tandis qu’il lui massait les seins à travers son tricot. Ils étaient plus petits que ceux de la voisine, forcément, mais de jolie forme et agréablement tendus en cet instant. Rita défit alors les boutons du jean de son homme, le poussa sur le dos, extirpa son sexe bien éveillé et s’empala dessus avec autorité. Puis elle se coucha sur lui, après que l’hormone du plaisir — franchement moins connue sous son nom de lulibérine — ait été libérée dans leur cerveau (respectif).
Ils restèrent ainsi quelques minutes l’un sur l’autre, sans rien dire. Puis Amandine interrompit ce défilé d’anges qui passaient…
« Pourquoi est-ce qu’il faut toujours qu’on se dispute ?
— … Parce qu’on est vraiment deux extrêmes, répondit Fabien après plusieurs secondes de réflexion. Des comme nous ensemble, il faut vraiment le voir pour le croire… Si on le racontait à des gens qui nous connaissent pas, ils le croiraient pas.
Même si des fois ça fait des étincelles, c’est vrai que c’est ça qui nous a attiré l’un vers l’autre…
Oui, c’est exactement ça », mentit-il, sachant très bien que si cela avait été une autre fille pas trop moche qui s’était intéressée à lui, le résultat aurait été le même. Mais il ne pouvait tout de même pas lui avouer que quand on est timide, on prend ce qu’on trouve.
En l’occurrence, il avait eu de la chance en tombant sur elle, car Amandine, en dépit de sa dent parfois dure, était par ailleurs on ne peut plus charmante. 

Un an qu’il étaient ensemble. Quinze mois, pour être précis. Il gardait de leur rencontre un souvenir idyllique. Et si l’on revoit à l’instant de sa mort les principaux moments de sa vie, nul doute que celui-ci serait conservé dans les pages de ce power point terminal.
D’habitude, il n’allait jamais seul dans les bars, à cause donc de sa timidité qui l’empêchait de socialiser, comme disent les anglais. Lier connaissance avec des inconnus lui était quasiment impossible. Mais c’était surtout avec les inconnues que cela portait préjudice, évidemment… Mais ce samedi soir-là, seul dans son appartement, il était vraiment en pleine déconfiture morale. Lucas pas là, à l’idée de passer encore un énième week-end sans parler à personne, il se sentait autant à plat que la batterie d’une voiture restée sans rouler durant tout l’hiver… Il avait compté qu’entre le moment où il avait quitté le boulot tout à l’heure, et celui où il reprendrait, mardi matin, il s’écoulerait quelque chose comme soixante-trois heures. Soixante-trois heures où il ne causerait peut-être à personne d’autre qu’à la caissière de Casino durant huit secondes au mieux… De telles statistiques avaient contre toute attente fini par faire sauter l’antivol qui le bloquait constamment, et il s’était subitement décidé à aller prendre un verre dans le pub situé sur le Vieux-Port, le O’Malley’s.
Quand il entra, tout de jean pourrave vêtu, soit sa tenue de camouflage pour la jungle urbaine, l’endroit commençait à se remplir. Fabien se dirigea vers le comptoir, et s’y accouda, l’air décontracté. Au dessus de lui était suspendue une écharpe de Chelsea. Il commanda une blanche pression, et la sirota le plus lentement possible en suivant vaguement le vieux film diffusé sur les pléthoriques écrans du lieu. Il s’agissait d’un film d’horreur, Alien, le premier, le vrai. Rien à voir avec Virgins for Alien, sorti il y a quelques mois avec la Sigourney Weaver numérique : une vraie daube intergalactique !
Oublié au milieu des gens, il commençait à se sentir à l’aise. Personne ne le calculait, mais personne ne le montrait non plus du doigt en se foutant de sa gueule sous prétexte qu’il n’avait pas d’amis.
A un moment, il eut la bonne surprise de voir qu’une fille avait pris place près de lui. Sans avoir l’air d’y toucher, il s’intéressa à elle. Elle commanda une Guinness, puis se tourna vers un écran lorsqu’elle fut servie. Fabien la trouva immédiatement à son goût, avec ses longs cheveux, ses formes troublantes et… sa petite taille. Lui qui n’était pas bien grand avait ainsi l’impression de pouvoir mieux tenir son rôle de mâle dominant.
Pendant qu’elle savourait sa bière, portant et reportant le verre à ses épaisses lèvres pour en avaler de fines gorgées, Fabien se torturait l’esprit pour trouver un moyen pas trop téléphoné d’engager la conversation. Il voulait lui dire quelque chose d’original, bien sûr, mais en même temps de suffisamment neutre pour ne pas sembler la draguer trop ouvertement, se disant qu’une fille pareille devaient voir défiler des escadrons de mecs se présentant la queue sous le bras, jusqu’à en faire une allergie. Aussi, les « Vous venez souvent ici ? », « On s’est pas déjà vu ? » et autre « Tu as une clope ? » lui semblaient à proscrire sous peine de grillade...
Au bout d’une dizaine de minutes d’intense cogitation, il en était toujours à chercher La réplique, celle qui fait tomber les murailles les plus solides à son seul énoncé...
C’est alors que, ne quittant pas le film des yeux, et d’une voix claire émergeant au milieu du tumulte ambiant, la fille dit en hochant la tête en direction de Sigourney alias Ripley, qui tenait un lance-flamme et prenait les affaires en mains à bord du cargo spatial Nostromo : « Elle en a du courage… Moi, je ne sais vraiment pas si je serais capable de me lancer à la poursuite d’un monstre pareil dans des couloirs si sombres… »
Machinalement, Fabien répondit : « Moi, je crois que je jetterais mon flingue par terre, que je m’assiérais contre un mur, et que je me mettrais à pleurer le visage dans les mains… »
Elle tourna le sien vers lui et le regarda pendant plusieurs secondes, manifestement surprise. Puis elle éclata de rire. Un rire chaleureux, qui lui fit des plis sous les yeux. Fabien adora immédiatement ce regard...

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